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Extraits de mon livre :LE LIT

Quand il pensait à l'histoire, il imaginait ces multiples perceptions d’un même événement vécues par les gens qui cohabitaient avec les explications des historiens. Qui avait vu Hitler dans sa Mercedes décapotable traverser Paris ? C’était si tôt le matin, toutes les rues étaient désertes. Pourtant, des millions de gens avaient vu ces images d’actualités passées et repassées comme symbole de l'humiliation de la France. Et ce Paris vide, et cette lourde voiture remontant lentement les champs Élysée après être passée place de la Concorde, ce sergent de ville français tout seul au garde-à-vous, effrayé de voir ce qu'il voyait, Hitler dans une voiture passant devant lui. À Dallas, ceux qui étaient sur le cortège au-delà de l'endroit de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy n'avaient rien vu ni rien entendu à part des voitures de police passant un peu vite sur le boulevard dégagé. Ils avaient attendu longtemps pour voir le cortège. La rumeur de l'attentat leur était parvenue plus tard qu’aux millions d'Américains qui n'étaient pas à Dallas. Et lui savait que les images filmées par ce cinéaste amateur, de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, il les avait vu deux mille six cent trente-trois fois à la télévision. Plusieurs centaines de cellules de son cerveau avaient enregistré pour toute sa vie ces images, au point qu’en se concentrant un peu, il revoyait nettement les détails : la grosse limousine décapotable noire, les policiers sur leurs Harley-Davidson, les coups de feux, Jackie Kennedy se jetant sur son mari  par-dessus le dossier de la banquette avant, les gardes du corps qui se mettaient à courir à côté de la voiture puis sautaient sur le marchepied s’agrippant sur l'arrière du coffre tandis que la voiture accélérait. Il pouvait  même dérouler à partir de ses archives cérébrales, les images ralenties de l'impact du coup de feu sur le corps de John Fitzgerald Kennedy. Une grande partie de sa mémoire était consacrée à accumuler ces images répétées, elle constituait le fond d'un patrimoine historico-affectif terriblement encombrant.  

 

Et les gens de Dallas qui étaient sur le parcours du cortège en agitant leurs petits drapeaux américains avaient dû mettre de côté leur légitimité de témoins. Il leur avait fallu à leur tour, subir les mêmes images récurrentes du film amateur de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy passées en boucle par la télévision. Et c’était ces mêmes images que lui avait enregistrées alors qu’il n’était pas au Texas. Pour les générations d'aujourd'hui, c'était les images des avions percutants les deux tours jumelles de New York qui avaient pris la place de celles récurrentes de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Le « My God» prononcé par un passant et la poussière envahissant la ville avait rejoints dans son  fond onirique, la poussière des cendres du Vésuve qui envahirent Pompéi. Tous, dans le monde entier, partageaient ces images, qui constituaient un patrimoine commun à l’humanité. Quand il ouvrait son ordinateur, quand il en avait enlevé tous les fichiers, il restait une grande partie du disque dur occupé à laquelle il n'avait pas accès. Ce n'était pas lui qui avait décidé d'occuper ces espaces. Il avait vu apparaître souvent sur son écran la phrase : « Vous avez un fichier caché. » D’autres ordinateurs pouvaient se connecter au sien et venir voir à son insu ce qu'il avait dans sa mémoire centrale. S'il vidait un jour son cerveau comme il l’avait tenté avec son disque dur, il n'était pas sûr de pouvoir se débarrasser des images du cinéaste amateur de Dallas, des avions percutant les tours jumelles, de l'enfant palestinien abattu dans les bras de son père, du pape Jean Paul II embrassant le béton des aéroports des pays qu’il visitait, du général de Gaulle disant : « Paris outragé, mais Paris libéré », tout en rentrant son discours dans la poche de sa veste d'officiers, de la chute de la croix gammée dynamitée par les Russes, de la petite fille brûlée par le napalm courant sur une route du Vietnam, du dynamitage des statues de bouddha sculptées dans la roche avec sur la bande-son « Dieu est grand ».